THIERRY : J’ETAIS DANS LA NUIT

A Nevers, Thierry attend impatiemment un coup de fil. Cet homme devenu aveugle à cause d’une maladie neurologique, espère emménager bientôt au Village où une nouvelle vie l’attend. Avec l’humilité des plus petits, il nous décrit son parcours semé d’embûches, son quotidien difficile, et l’espérance qui l’anime désormais. Rencontre. 

Thierry, vous êtes pressenti pour rejoindre le Village de François à Toulouse, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Je m’appelle Thierry Chariot, j’ai 52 ans, je suis célibataire et sans activité professionnelle. J’ai un handicap visuel et moteur qui me contraint à me déplacer avec une canne blanche, et qui m’écarte, me prive d’un certain nombre d’activités. Je ne suis pas né ainsi : ma maladie s’est déclarée à l’âge de 26 ans alors que j’étais officier dans la gendarmerie, et après avoir terminé des études de droit. Mon handicap était d’abord uniquement visuel, puis le problème moteur est apparu. À partir de cette époque, j’ai basculé dans une grande solitude. Quand vous êtes handicapé et privé d’activité professionnelle, il est très difficile de trouver sa place dans la société. Pour les personnes comme moi il y a sans cesse des barrières et des obstacles. 

À quel moment de votre vie avez-vous connu le Village de François ? 

J’ai entrepris de nombreuses démarches pour trouver un nouvel endroit où vivre, j’avais  envie de rejoindre une communauté. Grâce à l’OCH (Office chrétien des personnes handicapées), j’ai obtenu le contact d’Étienne qui m’a invité à venir visiter le Village et rencontrer ses habitants au cours d’un week-end prévu à cet effet. 

Là-bas j’ai rencontré de nombreuses personnes : les fondateurs, les salariés, les bénévoles, et ceux qui comme moi espèrent pouvoir bientôt rejoindre le projet. Avec mes oreilles j’ai capté une ambiance saine et positive. Grâce au toucher j’ai vécu l’aide et l’entraide auprès des personnes qui m’ont guidé. Avec mon cœur, j’ai ressenti un accueil immense, chaleureux, bienveillant. Les lieux sont pétris de sérénité. Cela relève de l’Invisible. 

J’ai compris qu’au coeur du projet se trouve le désir d’accueillir les plus petits dans les différents domaines concernés : le handicap, la prostitution, les gens qui sortent de la rue etc. et de créer une symbiose entre tous ces gens afin qu’il puissent vivre le plus dignement possible. 

Pourquoi souhaitez-vous vous y installer? 

J’ai en moi un grand désir de rejoindre le projet, de me rendre utile, avec les limites qui sont les miennes évidemment. J’aimerais vivre avec les autres habitants, nouer des relations avec les personnes.

Il m’a souvent été dit que je ne rentrais dans aucune case : j’étais soit trop jeune, soit pas assez handicapé. Alors comme je n’entre dans aucune case, eh bien je n’ai aucune place. Le Village de François représente un véritable espoir pour moi. L’espoir de vivre dans un cadre chaleureux, d’être enfin utile. Une vie nouvelle… 

Quel est votre quotidien aujourd’hui? 

Chez moi, avec l’aggravation du handicap et la solitude, ce n’est plus une vie, c’est de la survie. Je crois que je ne tiendrai plus très longtemps ici. Mon quotidien est marqué par une profonde solitude. Ma vie consiste à me rendre à des séances de rééducation fonctionnelle à l’hôpital, et à chercher des personnes à visiter. Je n’ai pas trouvé d’association qui pourrait m’occuper une partie de la journée. Ces derniers temps la vie a tiré à boulets rouges sur moi : j’ai vécu une rupture, l’aggravation de la maladie, la mort de mon meilleur ami qui m’avait ré-appris à pêcher malgré mon handicap, l’isolement lié au  Covid… C’est un miracle que je sois encore vivant. Chaque jour est délicat. Est ce que  ma seule place est de vivre dans les larmes et la peur ?

Le Village de François est une œuvre humaniste, pleine d’idéaux qui doit être encouragée, qui mérite d’être aidée. Ce projet donne de l’espoir à des gens comme moi qui ne savent plus où est leur place.